Ce cours était une véritable source de bien être, une source d'inspiration ! J'aime sortir de classe en ayant cette impression réelle de n'être pas venu pour rien. Je vais discuter quelques minutes avec le professeur, pour essayer d'améliorer mes techniques une fois seul dans ma chambre. L'avantage avec cet institut est qu'on n'a pas réellement de devoirs en tant que tel, ce qui nous laisse énormément de temps libre. Et en même temps, à part la pratique, la pratique, la pratique.

Je lui parle de mon projet de documentaire. Ça l'a emballé. Très bonne initiative, apparemment, qui permettra à mes camarades de s'entraîner. Oui, bon, le but n'étant pas de prendre seulement des acteurs. Mais ce n'est pas grave, c'est une merveilleuse idée. Si j'ai besoin d'aide, je n'aurais qu'à demander. Merci beaucoup.

Souriant, je décide d'aller prendre ma pause, quand même, comme tous les autres. Je sors mon Faust, une cigarette et me dirige vers la sortie. Mais tout ne se passe pas comme prévu. Assise sur la première marche des escaliers, ma Muse. Elina. L'une des meilleures amies que j'ai ici, et l'une des plus anciennes surtout. Elle est à l'origine de tous mes métrages. Appuyé contre un angle de mur, je range ce que j'avais sorti tout en la contemplant.

Elle est belle, elle est gracieuse et par-dessus tout, elle est tellement naturelle. Contrairement à ces autres filles de la promo, El' ne met pas un point d'honneur à s'habiller et se maquiller parfaitement avant de sortir de sa chambre. Ce que j'aime le plus, c'est quand elle est en retard le matin. Un simple trait sur les yeux, un peu de gloss, des vêtements pris au hasard. Et elle est magnifique.

Je me décide enfin à m'approcher. Je ne voulais pas l'interrompre dans sa lecture -rire intérieur, c'est ainsi que je l'ai abordée la première fois-, mais les cours vont reprendre et j'aimerais bien échanger quelques mots avec elle avant d'y retourner. Elle ferme son livre et se redresse, et j'en profite pour poser ma main sur son épaule. J'ai des flashs en tête. Des fleurs blanches et rouges, une robe de printemps, un combat, une maladie surement. J'écrirai tout en entrant en classe. Beau gosse ... Elle m'appelle souvent comme ça. Je souris.

"Comment va la plus belle ? Je t'ai vue plongée dans ton James, j'ai pas osé te déranger."

Je croise les bras et m'appuie nonchalamment sur la rambarde de l'immense escalier. Ne pas oublier. Fleurs blanches et rouges. Robe printemps. Combat. Maladie. Mort ? Non.

"J'ai une nouvelle idée et je veux que tu en sois, comme toujours. Enfin, j'ai plein de nouvelles idées. Mais là, ce serait un long-métrage. Rien à voir avec ce que je fais d'habitude. Un long-métrage documentaire. Sur le processus de création artistique."

C'est beaucoup plus facile de lui demander à elle qu'à Andrew. J'ai eu l'impression d'être une grosse quiche, quand je le lui ai proposé. Là, c'est sorti tout seul. Peut-être parce qu'Elina me connaît bien. Ou que je la connais bien. Je veux absolument qu'elle en soit. Je veux qu'elle soit ma Anne Dorval.

J'aime avec quel naturel elle peut sortir de belles choses. Notre relation a toujours été un peu étrange, vu de l'extérieur. Nos petits surnoms, nos compliments, nous travaillons toujours ensemble lorsque le prof demande des binômes, et la plupart des gens qui travaillent ici ont eu la possibilité de voir tous mes métrages, et elle apparaît dans chacun d'entre eux, plus belle à chaque fois.

Alors ouais, je comprends les regardes tournés vers nous à cet instant même. Mais en même temps, je m'en fous. Ils peuvent bien penser ce qu'ils veulent. Ils peuvent penser qu'il existe entre nous bien plus que ce que nous faisons paraître, ils peuvent bien penser qu'elle apparaît dans mes métrages contre rémunération corporelle, ils peuvent bien penser que lorsque je me montrais avec mes ex, c'était pour sauver les apparences. Je veux leur prouver qu'El' est une grande actrice.

"Je vais parfaitement bien. Quand je te vois, ma journée s'illumine, tu le sais. Une seconde."

Mon sac. Mon cahier, mon crayon. Je dois absolument noter cette idée avant qu'elle disparaisse dans les limbes de mon esprit. Fleurs blanches et rouges. Robe printemps. Combat. Maladie. Je me sens mieux. Avec un sourire, je range mes affaires et sors de ma besace dorsale deux canettes de soda. J'en propose une à ma Muse. Je bois une gorgée et accueille avec un sourire immense son consentement à participer à mon projet.

Je le savais. Enfin, je l'espérais tout au moins. Elina est celle qui me permet d'avancer ici, elle est la source de mes meilleures idées et c'est toujours elle que je vois dans le rôle principal. Elle est l'actrice la meilleure que j'aie eu à diriger. Celle qui fait le plus de concessions, celle qui connaît toujours le mieux son texte, celle qui est le mieux capable d'entendre la critique d'un directeur d'acteur. Et pour autant, elle n'est pas maléable. Elle apporte systématiquement une touche personnelle super fraîche à son jeu. Rapidement, j'enlace mon amie.

"J'espérais que tu me répondes ça ! J'en ai parlé au prof, il est emballé pour nous aider au besoin. J'ai plus qu'à recruter mes autres protagonistes. Et essayer d'interviewer les profs ici, voire ... Oh oui, je le vois parfaitement ! Filmer des bribes de cours, les exercices de ceux qui y consentiraient. Très peu mais ... Je dois noter, je suis à toi dans un instant !"

De nouveau, je sors mon compagnon. Ce cahier est déchiré partout, griffonné de tous sens, mais je l'aime tellement. Un cadeau de mon père lorsque je suis entré en cinéma. Je note rapidement des mots-clefs de mes idées. Je me comprendrai. Je vois, au fond de mon sac, mon carnet relié cuir, celui où mon roman est commencé. Je ne te délaisse pas, mon ami. Un recul pour mieux sauter.

"J'ai aussi une autre idée, qui nous prendrait moins de temps mais je dois l'écrire. J'adore tes cheveux comme ça. T'as fait quelque chose ?"

Oui, hors-sujet total mais je viens de m'apercevoir que j'adore sa coiffure. Ou alors elle a changé un truc, ou alors je viens juste de me rendre compte que j'aime cette fille encore plus, ce que je n'aurais cru possible. Je tourne les yeux et tombe sur un magnifique spécimen masculin, sans doute en mannequinat, je dirais dans les vingt-trois, vingt-quatre ans. Splendide. Je le suis du regard alors qu'il passe près de nous pour monter les escaliers. Une fois l'homme hors de ma vue, mes yeux se reposent sur Elina à qui je souris. Ouais, j'aime ses cheveux.